Petit récit d’un souvenir récent : MA PREMIÈRE LECTURE À LA COMÉDIE FRANÇAISE
En juin, j’eus l’honneur de lire mes textes à la Comédie Française. Il faut que je vous raconte, entre ami(e)s, ce qui s’y est passé d’étonnant. Cette soirée du 4 était organisée par La Comédie française et le Syndicat national de l’Édition autour de la diversité du livre audio. Nous étions 7 sur la scène, 3 sociétaires Daniel Mesguich, Denis Podalydès, Florence Viala, 4 écrivains Daniel Pennac, Muriel Bloch, Timothée de Fombelle et moi-même. Le jour même, je n’en menais pas large. J’ai davantage l’habitude de lire devant un public de cercle de poésie ou devant les enfants qui sont déjà si surpris de voir un auteur vivant (« Tu sais, ça m’a fait du bien de t’écouter, parce que tu vois, je croyais que t’étais mort », m’a dit une petite fille de 8 ans l’an dernier). Surtout, je passais le dernier des sept.
Les coulisses
Cette photo me fait rire après coup. Elle a été prise depuis la file à l’entrée par une personne très chère de ma famille. Je ne savais pas qu’un écran montrait la salle en direct, on m’y voit fixe, seul avec les techniciens mais je tournais un peu en rond. La salle était disposée en deux gradins, si bien que le lecteur se trouvait avec des spectateurs à droite et à gauche, mais son pupitre face à un mur. Moi qui aime parler à des gens que je vois en vrai, au moment de la photo, je me demande comment faire.
Des échanges
Cette soirée fut magnifique, avec pour point d’orgue à mes yeux Daniel Mesguich, accompagné d’un helléniste, interprétant en français et grec ancien des extraits de L’Iliade des femmes (paru aux Editions des femmes). Puissance absolue, remuante de la langue d’Homère avec le phrasé de Mesguich, comme au combat et en retenue à la fois. Tant de beaux échanges aussi, puis j’arrive sur scène.
Un souvenir ancien
Quelques minutes avant, un souvenir ancien rejaillit, très fort : je me dis que dire ou lire à d’autres de tout près me plonge dans notre enfance, celle où notre mère prend un livre. Du coup, je quitte le pupitre, et j’improvise, avant l’hommage à Satie prévu par ma lecture d’extraits d’un des textes que je préfère parmi ceux que j’ai publiés : « Monsieur Satie, l’homme qui avait un petit piano dans la tête » (Didier Jeunesse). Je raconte que cette pénombre dans la salle m’évoque « le noir quart d’heure », cette tradition dans ma région belge du Borinage et dans ma famille qui était faite de carriers, de mineurs. On demandait à sa mère « As-tu un noir quart d’heure pour toi ? ». Si elle disait oui, elle racontait ou lisait une histoire quinze minutes dans le noir, ou à la lueur d’une bougie.
Son partage
Dans ce lieu prestigieux du Théâtre du Vieux Colombier, j’ai exprimé le souhait d’un moment de partage dans cette ambiance-là. C’était si improbable qu’un jour je puisse parler de ce sujet ici et y apporter cette tradition. Et j’eus la chance que l’émotion soit partagée. On m’en reparla ensuite toute la soirée. Pour ma part, j’avais vaincu une fois encore, comme tant d’autres, cette vieille timidité de l’enfance qui nous revient parfois et que nous dépassons, d’une pensée ou d’un bon pas, sans pour autant la dénigrer. Car c’est elle qui, souvent, dans notre vie d’adulte, nous pousse vers l’avant et nous sort des chemins qu’on avait trop hâtivement tracés pour nous.
Carl Norac